Ateliers de relaxation, classe inversée… Dans la région, les exemples sont nombreux d’enseignants qui essaient de créer leurs outils pédagogiques. Mais les freins sont puissants.
Ce jeudi matin, dans la salle LB1 du lycée de Borda, à Dax (Landes), les élèves luttent contre le sommeil. Banal. La surprise, c’est qu’il s’agit d’un exercice pédagogique. Une douzaine de lycéennes sont étendues sur des tapis, les yeux fermés, le corps immobile, relâché. Lise Latrille, leur professeure principale, guide cette séance de méditation. Elle les invite à respirer avec lenteur et à se concentrer sur des images mentales : « Un chat qui dort », « Un franc soleil »…
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Le silence est complet. Presque miraculeux dans un groupe d’adolescents. Le portable ? Interdit : déconnexion obligatoire pendant cet atelier de relaxation. Quarante-cinq minutes de travail sur le corps et l’esprit, qui ont commencé par des exercices de maintien, plus toniques, empruntés au yoga. « On se sent beaucoup plus calme pour le reste de la journée », commente Dounia, alors que la séance s’achève dans un concert de bâillements.
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CRÉDIT PHOTO : ISABELLE LOUVIER
Retour à l’ordinaire : il est 11 heures, il va falloir filer en cours de droit ! « Ce qu’on apprend sur la respiration m’aide, le soir, à trouver le sommeil, je dors mieux », explique Enola. « Maintenant, quand je stresse, je prends le temps de calmer mon souffle », note Nora.
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« Pédagogie du détour »
« Il fallait travailler sur l’ambiance pédagogique. Il y avait trop d’agressivité, de tensions inutiles »
Elles se souviennent du jour de la rentrée, quand on leur a présenté cette nouveauté, de leur réaction, entre stupeur et « rigolade ». « On a pensé : un cours pour faire la sieste ? » Pas vraiment. Pour Lise Latrille, prof de maths, par ailleurs investie dans les recherches sur le yoga dans l’éducation, « il s’agit d’un véritable outil pédagogique, utile à plusieurs titres. Aide à la concentration, gestion des émotions, travail sur le maintien. » Un point important pour ces jeunes en bac pro Vente, appelés à exercer des métiers où la présentation de soi est décisive.
Le lycée a aussi introduit, dans les emplois du temps, des ateliers de lecture silencieuse. Pendant une heure, chacun lit un ouvrage de son choix. Roman, manga… À l’entrée de la classe, une caisse pleine de livres est disposée, une malle aux trésors. Ces temps de lecture et de relaxation, le lycée Borda, 2 500 élèves, les propose depuis la rentrée dernière, à trois classes de seconde, en section professionnelle. « Des groupes où nous sommes confrontés à de grandes difficultés : absentéisme, décrochage scolaire », précisent les enseignants. « Il fallait travailler sur l’ambiance pédagogique. Il y avait trop d’agressivité, de tensions inutiles », ajoute Christine Castay, directrice déléguée.
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Les terminales, ces géants !
« Le nombre d’avertissements et d’exclusions a baissé de 75 % »
Apprendre aux lycéens à respirer, à se tenir droit, à prendre le temps de lire ? Voilà qui risque de consterner les puristes de la transmission des savoirs. « C’est pourtant une approche connue des spécialistes de l’éducation, qu’on appelle la pédagogie du détour. On ne travaille pas sur le contenu d’une discipline, mais sur le climat scolaire : on crée les conditions d’un bon apprentissage », résume le proviseur, Patrick Retali : « Sur l’année 2017–2018, le nombre d’avertissements et d’exclusions a baissé de 75 % par rapport à l’année précédente. »
« L’ambiance est nettement plus détendue, on sent le changement. Certains collègues étaient réticents, car il fallait, pour aménager ces temps, rogner sur une ou deux heures de cours par semaine. Aujourd’hui, ce dispositif est bien accepté », estime Serge Yvenou, prof de maths. « Ayant quinze ans d’ancienneté, je commençais à envisager de changer de métier. Ce projet m’a redonné du plaisir à enseigner », confie Lise Latrille.
Les élèves aussi accordent une mention bien à l’expérience. Simon, par exemple, en seconde : « Je viens d’un petit collège de 300 élèves. J’avais un peu peur d’arriver au lycée. Les terminales sont tellement grands ! En fait je me sens bien ici. L’ambiance est agréable. »
« Le succès repose beaucoup, comme souvent quand il s’agit d’innover, sur la cohésion de l’établissement. Pour que ça marche, il faut que proviseur, profs, élèves, parents avancent dans le même sens et dans la confiance », analyse Jean-Luc Mourier. Il est, au rectorat, conseiller en charge des innovations. Cette expérience étonnante n’est pas, selon lui, « un cas isolé ». « Nous envoyons chaque année un appel à projets à tous les collèges, écoles et lycée de la région. Nous avons reçu pour une bonne centaine de réponses. Nous pouvons faire mieux, mais on sent de plus en plus d’appétit pour l’innovation. »
L’Éducation nationale en chiffres
12,3 millions d’élèves En France, ils se répartissent ainsi : 6,8 millions dans le premier degré, 3,3 millions de collégiens, 2,2 millions de lycéens. 83 % de ces élèves sont dans un établissement public, 17 % dans un établissement privé.
63 600 établissements 51 700 écoles, 7 100 collèges, 4200 lycées.
861 000 enseignants Répartis dans le premier et le second degré (dont 140 000 dans le privé)
147 milliards d’euros C’est, selon le gouvernement, le « coût de l’éducation » : l’ensemble des dépenses liées, en France métropolitaine et dans les DOM, à l’éducation. L’administration générale, l’enseignement, la restauration, la médecine scolaire. Cela représente 6,8 % du PIB.
Dans la région. L’académie de Bordeaux (dont les contours sont ceux de l’ancienne Aquitaine) compte 715 000 élèves (de la maternelle jusqu’à l’enseignement supérieur) répartis dans 3 242 établissements. Elle comptabilise aussi 37 100 enseignants, tous degrés confondus. Parmi eux, 5 800 travaillent dans le privé.
Huitième. C’est le rang de l’académie de Bordeaux en nombre d’élèves, devant Aix-Marseille et Toulouse.
« Pas assez de culture de l’innovation »
François Jarraud fut professeur d’histoire géographie. Il a créé en 2001, sur Internet, le Café pédagogique, un média consacré à l’actualité éducative. Il a aussi organisé pendant dix ans le Forum des enseignants innovants.
Pour François Jarraud, fondateur du Café pédagogique, les enseignants proposant de nouveaux outils doivent se sentir davantage soutenus.
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Que signifie, pour vous, « innover » dans le système pédagogique ?
François Jarraud. C’est la question qu’on devrait toujours se poser avant de brandir le mot « innovation » à tout bout de champ, d’une façon un peu incantatoire. Innover, concrètement, c’est résoudre un problème pédagogique avec une solution nouvelle. C’est une démarche, ça doit venir du terrain : c’est « bottom-up » (qui vient de la base, NDLR). Le problème, c’est que le ministère n’est pas très bottom-up ! Il a tendance à voir l’innovation comme une sorte de catalogue de bonnes pratiques que tout le monde, ensuite, peut dupliquer sur le territoire.
Comment faire en sorte que l’innovation ait plus de place dans l’Éducation nationale ?
Plutôt que de faire des répertoires de bonnes pratiques, il faut développer la culture de l’innovation, qui est insuffisante : les enseignants doivent se sentir plus libres de proposer, d’imaginer des outils. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux le font, mais dans leur coin, sans en parler trop.
Pourquoi ?
Parce qu’ils ne sont pas sûrs que la hiérarchie va les soutenir et que ce métier est, aujourd’hui, un métier d’isolé.
Justement, les projets innovants changent la manière de travailler, il faut les porter en équipe…
Oui, mais au collège ou au lycée, les moments pour travailler et se retrouver en équipe restent rares. Concrètement, en dehors des repas, chacun reste dans son emploi du temps, concentré sur des programmes souvent chargés, qui ne laissent pas, ou peu, de temps pour réfléchir ensemble sur des expériences pédagogiques différentes.
Il n’y a pas les conditions concrètes d’un travail collectif, à part dans les établissements en réseau d’éducation prioritaire, où là, il y a vraiment un temps pour le travail en équipe.
Les enseignants rencontrés disent tous que ces recherches de nouveaux outils sont très stimulantes…
Dans le métier d’enseignant, il y a beaucoup de mauvais moments – des tensions, l’impression de faire un travail dénué de sens… Mais les bons moments sont des temps géniaux. On a vraiment du plaisir et le sentiment d’être utile. Si on veut donner aux profs davantage d’occasions de vivre ces moments, il faut leur donner plus de liberté et de confiance.